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Page:Sand - Lélia, édition Dupuy-Tenré, 1833, tome 2.djvu/93

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comme ce libertinage invisible de ma pensée ne pouvait choquer l’austérité de mes mœurs, je m’y livrais sans remords. Je fus infidèle en imagination, non-seulement à l’homme que j’aimais, mais chaque lendemain me vit infidèle à celui que j’avais aimé la veille. Bientôt un seul amour de ce genre ne suffisant point à remplir mon ame toujours avide et jamais rassasiée, j’embrassai plusieurs fantômes à la fois. J’aimai dans le même jour et dans la même heure le musicien enthousiaste qui faisait vibrer toutes mes fibres nerveuses sous son archet, et le philosophe rêveur qui m’associait à ses méditations. J’aimai à la fois le comédien qui faisait couler mes larmes, et le poëte qui avait dicté au comédien les mots qui arrivaient à mon cœur. J’aimai même le peintre et le sculpteur dont je voyais les œuvres et dont je n’avais pas vu les traits. Je m’enamourai d’un son de voix, d’une chevelure, d’un vêtement ; et puis d’un portrait seulement, du portrait d’un homme mort