Page:Sand - L Homme de neige vol 1.djvu/104

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surées ; le long corps de logis irrégulièrement flanqué de pavillons carrés, et terminé par de gigantesques pignons dentelés de statues et d’emblèmes ; la grande horloge du pavillon central, qui sonnait dix heures du soir, heure à laquelle les ours mêmes craignent de secouer la neige où ils sont blottis, et où des hommes, les plus délicats animaux, de la création, dansaient en bas de soie avec des femmes aux épaules nues ; tout dans l’âpre grandeur du site et dans la scène galante qui l’animait, jusqu’aux accords badins et précieux de cette vieille musique française qui se mariait sans façon aux aigres soupirs de la bise dans les longs corridors, était fait pour étonner la raison d’un voyageur et embrouiller les notions d’un habitant de l’Italie.

En voyant les vastes salons et la longue galerie à plafond peint de divinités mythologiques remplis de bruit et de monde, Cristiano se demanda sérieusement si ces gens-là n’étaient pas des fantômes évoqués par les sorcières de la solitude pour se moquer de lui. D’où sortaient-ils avec leurs toilettes rococo, leurs babils à paillettes et leurs dames poudrées, souriantes dans les flots de plumes et de dentelles ? Le château magique n’allait-il pas disparaître d’un coup de baguette, et ces pimpants danseurs de menuet et de chaconne n’allaient-ils pas s’en-