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étiez un enfant, lui dis-je ; est-ce que vous vous souvenez de moi ?

— C’est parce que je m’en souviens très-bien, répondit-il, que je me permets de venir vous voir.

— Vous me faites plaisir : j’aimais beaucoup et j’estimais infiniment votre père.

Ton père ! reprit-il avec un abandon qui me gagna le cœur tout de suite. Autrefois, vous me disiez tu, et je suis encore un enfant.

— Soit ! ton pauvre père t’a quitté bien jeune ! Par qui as-tu été élevé depuis ?

— Je n’ai pas été élevé du tout. Deux tantes se disputèrent ma sœur…

— Qui est mariée, sans doute ?

— Hélas, non ! Elle est morte. Je suis seul au monde depuis l’âge de douze ans ; car c’est être seul que d’être élevé par un prêtre.

— Par un prêtre ? Ah ! oui, je me souviens, ton père avait un frère curé de campagne ; je l’ai vu deux ou trois fois : il m’a paru être un excellent homme. Ne t’a-t-il pas élevé avec tendresse ?

— Physiquement, oui ; moralement, le mieux qu’il a pu, prêchant d’exemple ; mais, intellectuellement, d’aucune façon. Absorbé par ses devoirs personnels, ayant, sur toutes choses, et même sur la religion et la charité, des tendances toutes positives, comme on pouvait les attendre d’un homme qui avait quitté la charrue pour le séminaire ; il m’a recommandé le travail sans me diriger vers aucun travail, et j’ai passé dix ans près de lui sans recevoir d’autre instruction que celle des livres qu’il m’a plu de lire.

— Avais-tu de bons livres, au moins ?

— Oui. Mon père lui ayant confié par testament sa bibliothèque pour m’être transmise à ma majorité, j’ai pu lire