Page:Sand - La Daniella 1.djvu/125

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jusqu’à l’étisie. Quand je regarde cette courte et ronde personne, si bien guérie, si fraîche dans son soleil d’automne, et si aimable quand elle oublie de déplorer la médiocrité de son mari, je ne puis m’empêcher de m’effrayer à la pensée de l’amour. Est-ce donc là une des réactions inévitables des grandes passions, et faut-il absolument, quand on a été adoré, tomber dans ce mépris que les délicatesses d’un grand savoir-vivre peuvent à peine dissimuler chez lady B***, mais qui navrent son orgueil comme un poison lent à dose coutume ? Ceci ne serait rien encore, et vous me direz que je ne cours pas si grand risque d’inspirer de grandes passions. C’est bien mon avis ; mais, si, par hasard, j’étais capable d’en ressentir une et d’obtenir, pour compagne de ma vie, une femme adorée, serais-je donc condamné, un jour ou l’autre, à éprouver les angoisses et les écœurements d’une désillusion comme celle dont lady B*** me montre le triste exemple ?

Il y a une chose certaine, cependant, c’est que lady B*** est dans l’erreur sur le compte de son mari et sur le sien propre. Lord B*** lui est infiniment supérieur sous tous les rapports sérieux. Sans avoir beaucoup d’instruction ni d’esprit, il en a infiniment plus qu’elle ; et, quant au caractère, il y a en lui une loyauté, une chasteté, une candeur, une philosophie, une générosité à la fois spontanées et raisonnées qui laissent bien loin derrière elles la douceur naturelle, la libéralité insouciante et la sensiblerie exaltée de sa femme. En somme, ce sont deux bonnes et honnêtes natures ; mais ici le mari a toutes les qualités essentielles de l’homme, et l’épouse n’a que les agréments vulgaires de la femme. Lady Harriet est un type que l’on voit partout ; lord B*** est une précieuse originalité, et, dans le cercle obscur des vertus privées, une supériorité réelle.

An fond, je crois voir que ces deux âmes froissées ne se