Page:Sand - La Daniella 1.djvu/15

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— Cette indolence est-elle le résultat de tes réflexions sur le néant de la vie, ou un état de langueur physique ? Je te trouve pâle, et tu parais plus âgé que tu ne l’es. Es-tu d’une bonne santé ?

— Je n’ai jamais été malade, et j’ai physiquement de l’activité. Je suis un marcheur infatigable ; j’aimerais peut-être les voyages ; mais mon malheur est de ne pas bien savoir ce que j’aime, car je ne me connais point, et je suis paresseux à m’interroger.

— Tu me parlais cependant de tes projets : donc, tu n’as pas quitté ta province et tu n’es pas venu à Paris sans avoir quelque désir ou quelque résolution d’utiliser ta vie ?

— Utiliser ma vie ! dit le jeune homme après un moment de silence ; oui, voilà bien le fond de ma pensée. J’ai besoin que vous me disiez qu’un homme n’a pas le droit de vivre pour lui seul. C’est pour que vous me disiez cela que je suis ici ; et, quand vous me l’aurez bien fait comprendre et sentir, je chercherai à quoi je suis propre, si toutefois je suis propre à quelque chose.

— Voilà ce qu’il ne faut jamais révoquer en doute. Si tu es bien pénétré de l’idée du devoir, tu dois te dire qu’il n’y a d’incapables que ceux qui veulent l’être.

Nous causâmes ensemble une demi-heure, et je trouvai en lui une grande docilité de cœur et d’esprit. Je le regardais avec attention, et je remarquais la délicate et pénétrante beauté de sa figure. Plutôt petit que grand, brun jusqu’à en être jaune, un peu trop inculte de chevelure, et déjà pourvu d’une moustache très-noire, il offrait, au premier aspect, quelque chose de sombre, de négligé ou de maladif ; mais un doux sourire illuminait parfois cette figure bilieuse, et des éclairs de vive sensibilité donnaient à ses yeux, un peu petits et enfoncés, un rayonnement extraordinaire. Ce n’étaient là ni le sourire, ni le regard d’une jeunesse avortée