Page:Sand - La Daniella 1.djvu/176

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tout dire ; mais il me semble que, si je vous cachais quelque chose, il vaudrait mieux ne rien vous dire du tout.

Quand je me retrouvai seul à Tivoli, au lieu d’aller voir les autres cascades, je redescendis vers celles que je connaissais déjà. Le gardien, ancien soldat au service de la France, voulut bien avoir confiance en ma parole de ne pas attenter à mes jours (car, décidément, cet abîme est regardé comme tentateur), et j’eus la liberté d’aller rêver seul, à l’abri de la pluie, dans les cavernes.

Je ne rentrai pas sans remords dans celle où j’avais rendu ce maudit baiser. J’en ressentais encore le frémissement dangereux ; mais, au lieu de m’y complaire, je me condamnai à un sévère examen de conscience, et je reconnus que j’avais été coupable d’imprudence. N’aurais-je pas dû, depuis les larmes bizarres que le soin d’apporter un chevreau avait fait répandre, et toutes les singularités du reste de la route, deviner, comprendre que j’étais l’objet d’un dépit tout prêt à se changer en caprice et à se faire baptiser du nom de passion ? Eh bien, non ! je ne m’en étais pas douté, apparemment ! J’avais observé, sans grand intérêt et comme malgré moi, cette étrange organisation. J’expliquais les premières larmes par quelque souvenir, peut-être un souvenir d’amour, réveillé en elle par une circonstance fortuite. J’expliquais la scène des bijoux jetés dans le bois par une colère de reine, échouant devant un sujet déterminé à ne pas être un courtisan. J’expliquais même le baiser sur le front, par une hallucination de sa part ou de la mienne. Jusque-là, jusqu’au moment où elle m’avait poursuivi pour me dire : Je vous aime, je m’étais obstiné à croire à je ne sais quelle méprise, ou, passez-moi le mot, à je ne sais quelle fumée d’hystérie nerveuse.

Me voilà donc, pensai-je, en présence d’un amour bon ou mauvais, senti ou rêvé, mais sincère à coup sûr, et aussi