Page:Sand - La Daniella 1.djvu/291

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théâtral qu’il présente donnent le sentiment d’une sécurité profonde. Il me semble, seul comme je suis, et enterré vivant dais ces massifs d’architecture où ne pénètre pas le moindre bruit du dehors, que l’on pourrait vivre et mourir là, de bonheur ou de désespoir, sans que personne s’en inquiétât. Certes, à l’heure qu’il est, quelque isolé que vous me supposiez, vous ne pouvez vous représenter une cachette aussi secrète et une solitude aussi absolue que celle d’où je vous écris, au crayon, sur un album ad hoc.

À Tivoli, j’avais déjà rêvé une solitude à deux, une retraite à jamais cachée, dans la galerie taillée au cœur du roc qui domine la cascade. Certes, c’était mille fois plus beau que la ruine muette et sourde où me voilà enfoui ; mais je ne désire plus Tivoli : la folle Medora et la fièvre m’en ont fait un souvenir pénible ; et, d’ailleurs, l’amour vrai n’a pas tant besoin des splendeurs de la nature. Il aime l’ombre et le silence. Le chant terrible des cataractes me gênerait aujourd’hui, s’il me dérobait une des paroles de ma bien-aimée.

Puisque je suis là à vous parler d’elle, il faut que je vous raconte qu’hier au soir, m’en retournant par la pluie à Piccolomini, pluie que, du reste, je ne recevais guère, car ces stradoni d’yeuses antiques sont de véritables voûtes de feuilles persistantes et de monstrueuses branches entrelacées, j’entendis partir, de la villa Taverna, un bruit de voix et de rires où il me semblait reconnaître le rire et la voix de Daniella. J’avais à remettre à Olivia la majestueuse clef de Mondragone, et je vis cette aimable femme à une fenêtre de rez-de-chaussée des bâtiments de service qu’elle occupe avec sa famille. Elle me fit signe d’approcher, et me montra, dans la grande salle où Daniella a établi son atelier de stiratura, un bal improvisé. À la fin de leur journée de travail, les ouvrières qu’elle emploie et les autres jeunes