Page:Sand - La Daniella 1.djvu/310

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extraordinaire, à comparer machinalement la douce chaleur de la chambre où j’étais, avec l’idée du froid humide et noir qui régnait dehors. Mais dire sur quelle campagne tombait cette averse opiniâtre, et dans quelle retraite je me trouvais si bien abrité, avec mon trésor le plus cher, voilà ce qu’il n’eût pas fallu me demander, ce que j’étais heureux de ne plus savoir. C’était le déluge, et nous étions dans l’arche, flottant sur des mers inconnues, dans l’immensité des ténèbres, ignorant sur quels sommets de montagnes ou sur quels profonds abîmes nous poursuivions au hasard notre voyage dans l’inconnu. Cela était terrible et délicieux. La nature se dérobait à notre appréciation comme à notre action ; mais l’ange du salut poussait notre lit tranquille sur les eaux déchaînées, et tenait le gouvernail en nous disant : « Dormez !» Et je me rendormis sans bien savoir si je m’étais éveillé.

Vers deux heures du matin, je me réveillai tout à fait, saisi par le froid. Je fis sonner la vieille montre à répétition que mon oncle le curé me donna jadis pour étrennes. Je ne touche jamais cette respectable bassinoire sans qu’elle me rappelle un de ces jours d’orgueil et d’ivresse qui comptent dans la vie des enfants. Tout mon passé et tout mon présent me revinrent en mémoire, et je recouvrai ma lucidité. Daniella dormait sans paraître souffrir du froid ; ses mains étaient tièdes. Pourtant je craignis qu’elle n’éprouvât les effets de l’humidité, et je me levai pour rallumer le feu.

La pluie tombait toujours avec la même persistance. Je souffris à l’idée que ma chère compagne se lèverait avant le jour et traverserait ce déluge pour retourner à la villa Taverna. Il faut absolument changer cette manière de vivre, me disais-je ; voilà la troisième matinée qui me brise le cœur en exposant la santé et la vie de ma bien-aimée. Il est impossible que je continue à l’attendre quand c’est moi qui