Page:Sand - La Daniella 1.djvu/33

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que j’étais fort et en état de voyager, voulaient me persuader d’être missionnaire. Moi, je leur disais : « Bah ! bah ! il n’y a pas besoin d’aller chez les Chinois pour trouver des magots, et dans les îles de la mer du Sud pour rencontrer des sauvages !»

Quand j’eus soupé, et, bon gré mal gré, mangé plus que ma faim (la Marion se dépitant quand je ne faisais pas assez d’honneur à ses mets), mon oncle voulut voir quelque preuve de mon travail à Paris et de mes progrès en peinture.

— Tu crois, sans doute, que ce serait margaritas ante porcos, dit-il gaiement ; tu te trompes. Pour juger ce qui est fait pour les yeux, il ne faut que des yeux. Allons, déballe ! Je veux voir les chefs-d’œuvre de mon futur grand homme.

Il me fallut ouvrir ma malle et la retourner dans tous les sens pour lui prouver que je n’avais qu’un très-mince et très-portatif attirait de peintre en voyage, et pas le plus petit croquis à lui montrer.

Il en fut très-mortifié.

— Ça n’est pas aimable de ta part, s’écria-t-il. Tu devais bien penser que je m’intéresserais à tes grands talents, et je commence à croire que tu n’as rien fait qui vaille dans ton Paris. S’il en était autrement, tu te serais appliqué pour m’apporter au moins une jolie image coloriée par toi. Tu avais des dispositions, cela est sûr ; mais je parierais que tu n’as songé qu’à flâner, là-bas !

À force de retourner mon bagage, la Marion finit par découvrir une figure d’académie qui m’avait servi à envelopper un paquet de crayons. Comme c’était déchiré et chiffonné, que les pieds et la tête manquaient, elle ne comprit pas tout de suite ce qu’elle examinait ; puis, tout à coup, jetant un cri d’horreur et d’indignation, elle s’enfuit en se recommandant à tous les saints.

— Fi ! dit mon oncle en regardant cette nudité qui avait