Page:Sand - La Daniella 1.djvu/44

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sait comme un oiseau des tempêtes, le prenait alors en flanc. Il s’est couché si à plat, que ses vergues effleuraient la crête des flots ; mais aussitôt il s’est relevé, agile, élastique comme un arc bien tendu. Il a franchi légèrement une vraie montagne bouillonnante, et il s’est trouvé dans les eaux calmes, fier comme un cygne qui reprend possession de son nid. Rien ne trahissait l’épouvante dans les mouvements du petit équipage, et j’étais fier, pour ma part, comme si j’eusse été de la partie. Oui, l’homme doit être intrépide, et le spectacle le plus attrayant, c’est, on le conçoit bien, le déploiement des forces humaines. Les tempêtes et les océans ne sont rien : l’âme universelle émanée de Dieu a son foyer le plus pur en nous, qui méprisons la mort, et ce n’est pas la terre et la mer seulement qu’il faut peindre, n’est-ce pas, mon ami ? c’est l’homme et sa vie !

Puis un navire plus lourd est arrivé. Son entrée a demandé plus de cérémonies. Dans ces crises où le sort de l’équipage dépend de la manœuvre, on entend des cris à bord ; mais c’est le commandement de l’intelligence ou de l’expérience, et cette voix-là domine à bon droit les rugissements de la mer.

Le tout était bizarrement accompagné du son clair et strident d’une petite harpe, partant d’assez près de moi. Tandis que flots et navires s’étreignaient dans la lutte, sur l’esplanade d’une baraque servant de cabaret, dansaient des filles et des marins endimanchés. Un artiste de grand chemin, un bohème harpiste, chevelu, déguenillé, jouait, avec une verve saccadée et diabolique, une sorte de tarentelle à mouvement détraqué, sur lequel polkaient avec fureur des créatures avinées. Le contraste était curieux, je vous jure, et résumait toute l’audace insouciante et aventureuse de l’homme de mer.

Arrivés le matin d’un voyage au long cours, bronzés par