Aller au contenu

Page:Sand - La Daniella 2.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et les chiens des autres cabanes. Leur bruit nous trahirait. Il y a, par ici, plusieurs de ces paillis. Je sais qu’en voilà un abandonné. N’y entrons pas, nous pourrions y être bloqués. Si les gens de là-haut ne nous ont pas vus, tout va bien ; nous pourrons tout à l’heure traverser la prairie. S’ils nous ont vus, observons-les pour jouer à cache-cache avec eux.

— Observer me paraît difficile dans cette obscurité.

— Quand on ne peut pas se servir de ses yeux, on se sert de ses oreilles. Taisons-nous, écoutons. Un quart d’heure de patience, et nous saurons à quoi nous en tenir.

— Mais ces chevaux, impatients de rentrer chez eux, nous trahiront, et nous empêcheront d’entendre.

— Je le sais bien : voyez ce que je fais, et faites-en autant. Tenez, voilà un bout de courroie.

Il mettait un tord-nez à son bidet et l’attachait à une branche. J’avais vu pratiquer ce moyen expéditif de réduire à l’immobilité le cheval le plus impétueux. Je tordis la lèvre supérieure du bon Vulcanus avec la courroie, que je fixai court à un arbre. Dans cette situation, l’animal, dont chaque mouvement devient douloureux, se permet à peine de respirer.

Condamné, par la volonté, à un silence et à une immobilité semblables à ceux que j’imposais à mon cheval, je crois que je souffris plus que lui. On ne se figure pas ce que c’est que la gêne et l’ennui de s’annihiler ainsi, pour se soustraire à un péril que l’on aimerait mieux brusquer. Cela est si contraire au tempérament français, que je me sentis pris de spasmes. Felipone, autrement trempé que moi à cet égard, écoutait et guettait. Placé tout près de lui, je voyais son petit œil rond étinceler dans l’ombre comme celui d’un chat, et il me semblait voir aussi sur sa bouche l’éternel sourire de bienveillance et de contentement qui anime ses traits vulgaires, mais agréables.