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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/126

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rupture de quelque arche autrefois jetée comme un pont d’enfer sur l’abîme. La tour avait sans doute été dès lors condamnée à s’écrouler aussi d’elle-même et réputée dangereuse. D’ailleurs, cette masure n’était plus d’aucun usage, et le fond de la gorge par où j’étais venu étant impraticable, même aux bergers, personne ne devait s’aviser de l’ascension de la cascatelle, à moins d’être traqué comme une bête fauve ou d’avoir un guide comme celui qui m’avait amené là.

En me demandant de quelle utilité pouvait avoir été une construction située ainsi dans une impasse, et tellement enfouie dans une crevasse, qu’elle n’offrait même pas l’avantage de la vue sur le pays environnant, il me vint une idée que de nombreux exemples du même genre dans les pays sujets aux tremblements de terre ne rendent pas très-invraisemblable : c’est que cette tour avait dû être bâtie à cent pieds plus haut, sur le sommet de la muraille de rochers, et que le subit écroulement d’un bord de cette corniche l’avait fait descendre ; toute disloquée, au plan où elle se trouve arrêtée maintenant, jusqu’à nouvel ordre, c’est-à-dire jusqu’à la prochaine secousse qui la précipitera tout à fait dans l’abîme. Ce ne serait, en somme, qu’un accident semblable à celui du détachement des voûtes naturelles de la grotte de Neptune à Tivoli, où la violence des eaux a suffi pour tout changer de place.

Il n’y aurait donc eu ici, dans le principe, qu’une tour d’observation sur la cime d’un précipice, à côté d’une cascade. L’événement que je suppose aurait diminué le volume de cette cascade, en créant au torrent un lit voisin plus accidenté, et en ouvrant l’entaille immense où la tour est descendue avec le bloc qui me supportait. Tout cela a pu se passer au quinzième siècle, peu de temps après la construction irréfléchie de cette maledetta ; c’est le nom que je veux donner à cette tour, pour la désigner d’un seul mot.