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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/149

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— Daniella, ma bien-aimée, m’écriai-je en la saisissant dans mes bras, qu’est-ce donc ? que t’est-il arrivé ? Est-ce l’émotion de cet enterrement ? sommes-nous en danger ? Vais-je encore être forcé de me séparer de toi ? Non ! je ne le veux pas, c’est impossible ! J’aime mieux être tué à tes côtés. Mais réponds donc ! Quelqu’un t’a-t-il offensée à cause de moi ? As-tu reçu quelque reproche, quelque outrage ? Parle, ou je deviens fou !

— Vous me demandez ce que j’ai ? dit-elle enfin d’une voix étouffée par l’indignation. Vous doutez que je sois outragée, avilie, désespérée ! Vous croyez donc que je ne l’ai pas vue, cette femme qui s’enfuyait tout à l’heure d’auprès de vous en m’entendant venir ?

— Cette femme ! Comment, c’est là la cause de ton chagrin ? Cette femme est celle qui doit moins que toute autre, te porter ombrage : c’est miss…

— Miss Medora ?

— Précisément !

— Vous l’avouez, parce que vous sentez bien que je l’avais reconnue ! Oh ! elle ne se cachait pas ! Au contraire, elle a relevé son voile en passant à dis pas de moi, et elle s’est mise à rire avec insolence. Elle me brave, elle m’avilit. C’est bien la preuve que vous me trahissez.

Je voulus en vain me justifier : la terrible enfant ne m’écoutait pas. Même lorsqu’elle faisait un effort pour recueillir et comprendre mes paroles, il semblait qu’il lui fût impossible d’y saisir aucun sens. Elle marchait avec agitation ou se jetait avec des poses d’une insouciance effrayante sur les frêles rebords de la terrasse. Dix fois je crus qu’elle allait s’élancer dans le précipice. Elle était tragiquement belle dans ce paroxysme de la passion et de la douleur, avec ses cheveux noirs épars, sa pâleur de marbre, ses yeux creusés d’un cercle bleuâtre, ses lèvres frémissantes ; elle