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Page:Sand - La Daniella 2.djvu/207

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— C’est juste. Mais que diable faites-vous-là ! dit-il en me voyant retourner mon tableau sur le chevalet et reprendre ma palette.

— Ça veut être de la peinture, répondis-je.

— Eh ! eh ! s’écria-t-il en regardant avec une attention de plus en plus marquée : c’est de la peinture, en effet ! Diable ! mais savez-vous que c’est bien ça ? Je ne vous croyais pas fort !

— Vous aviez raison : je ne suis pas fort.

— Mais si, diantre ! vous êtes un sournois ; vous cachez votre jeu. Drôle de corps, va ! Est-ce que Medora a vu quelque chose de ce que vous savez faire ?

— Rien du tout. Pourquoi ?

— Ne lui laissez rien voir, hein ? Si elle découvre que vous avez du talent, elle ne m’en trouvera plus du tout.

Il tourna longtemps autour de moi avec des compliments exagérés, mais naïfs comme tous ses premiers mouvements, et finit par me dire, avec chagrin, que, depuis son arrivée à Rome, il n’avait pas touché un pinceau.

— Et j’y venais pourtant avec la résolution de travailler ; car, à Paris, voilà deux ans que je vas dans le monde et que je n’entre guère dans mon atelier. J’ai besoin d’avoir du talent, car je n’ai pas la moindre fortune, et la littérature d’agrément que je fais ne me rapporte rien. J’ai toujours rêvé des choses difficiles, et pendant que je sois aux prises avec mes rêves ambitieux, le temps se passe et les résultats s’éloignent.

— Vous êtes dans un jour de spleen ; demain, vous parlerez autrement.

— J’ai peur du contraire. Medora me traite comme un domestique qu’on essaye.

— Ou comme un mari qu’on éprouve ?