Page:Sand - La Famille de Germandre.djvu/114

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des illusions, est-ce possible ? ce serait de la démence ! Voilà ce que c’est que de vivre dans un désert. L’imagination ne s’use pas. Elle reste jeune et déréglée. Mon Dieu ! comme on est étonné, comme on est ébloui devant la grâce et la beauté ! Je ne suis pourtant pas si sot que ça dans ma famille, au milieu de mes pauvres voisins qui me prennent pour un oracle… Allons, allons, il faut avoir oublié ce rêve-là en rentrant, ce soir, sous mon chaume ; car, si je devenais triste, malheureux, malade… mes enfants, ma sœur… tout serait perdu ! Malade ! je le suis ! Je suis faible comme un roseau depuis deux heures ; je vois trouble, j’entends de travers… j’ai chaud, j’ai froid, j’ai soif… Ah ! j’ai faim ! C’est cela ! Je n’y pensais plus.

Le chevalier jeta des yeux hagards autour de lui, et, se voyant seul, il se précipita sur une pile de brioches que Lucien n’avait pas attaquée. Il trouva ce régal fort médiocre. Il eût mieux aimé, comme Ésau, un plat de lentilles ; mais il n’avait pas le choix, et il avala, en faisant la grimace, une carafe de lait d’amandes qui lui parut très-fade.