Page:Sand - La Filleule.djvu/115

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m’ont fait si petit devant la pitié, que vous ne me craignez plus !

» Ange de bonté, je baise vos mains bienfaisantes et je pars ; je veux pouvoir emporter de chez vous l’espérance. L’espérance de mériter votre confiance absolue, oui, je l’ai, malgré vous et malgré moi. Quoiqu’il arrive, je serai votre fils par la volonté, par le dévouement, par le respect, par la soumission, par la tendresse.

» P.-S. — Retenez le pauvre Schwartz ; faites-lui faire des chemises et des habits ; donnez-lui peu d’argent à la fois. C’est un enfant, lui, et il a soixante ans, madame ! »


Je cachetai cette lettre, je la mis en évidence sur la table, et, avant que personne fût encore éveillé dans la maison, je gagnai la rue et allai droit chez Roque.

Il venait de recevoir ma lettre. Il m’ouvrit ses bras en me faisant de vifs reproches de ma trop longue discrétion.

— Eh bien, lui dis-je, ce n’est plus Schwartz qui meurt de faim, c’est moi. Je ne suis pas seulement gêné, je suis réduit à la dernière extrémité.

Et je lui racontai tout ce qui s’était passé la veille. Il m’approuva et me remercia même de mon courage, comme si je l’avais eu à son intention. Puis il me sauva d’emblée, en me procurant de quoi vivre. On lui proposait un mince emploi au jardin des Plantes, celui de préparateur et de conservateur d’objets d’histoire naturelle, à douze cents francs d’appointements. Plus hardi et plus confiant que moi, Roque avait déjà des protections ; mais il avait de quoi continuer ses études à son gré, moyennant un régime d’existence stoïque, et il ne voulait pas sacrifier son temps à gagner sa vie.

— Puisque tu en es réduit là, me dit-il, accepte cet emploi, que je me fais fort de pouvoir te céder. Tu auras tes soi-