Page:Sand - La Filleule.djvu/124

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natomie du corps, puisque, selon toi, je ne connais pas celle de l’âme.

— Non, mon ami, étudie-les ensemble ; seulement, il faut le temps à tout. N’aie pas l’orgueilleuse rage d’être grand médecin en moins d’années qu’il n’en faut aux autres pour être des carabins passables. Examine toutes ces choses que je te dis, et ne sois médecin que dans dix ans.



XIII


Roque fut triste à dîner ; pressé amicalement d’en dire la cause, il nous promit de s’expliquer au jardin, et là, marchant avec animation sous la lune nuageuse de novembre :

— Mes chers amis, s’écria-t-il avec une grande naïveté de cœur, sachez que, jusqu’à ce jour, j’ai été un âne, et, qui pis est, un sot !

Et il résuma d’une manière brillante et claire le sujet de notre entretien. Il me plaça plus haut que lui, lui qui, sans méchanceté, sans en avoir même conscience, m’avait toujours traité en petit garçon devant Anicée et sa mère ; il passa d’une extrémité à l’autre ; et, passionné en tout, il déclara que j’étais l’esprit le plus juste, le génie le plus lucide qu’il eût jamais rencontré.

Je voulus rire de ces éloges, que madame Marange écoutait avec une sollicitude avide. Anicée me prit le bras en me disant d’un ton d’autorité jalouse :

— Ne riez pas, taisez-vous : il a raison. Ne vous moquez