Page:Sand - La Filleule.djvu/163

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Le fait est qu’elle a dû être cent fois plus jolie que je ne le serai jamais ; elle est blanche comme la neige, et moi, il me semble que je suis noire comme un corbeau. On dit que cela me sied ; je n’en suis pas sûre. On me voit ici avec des yeux abusés par la tendresse. Je voudrais bien aller dans le monde, ne fût-ce qu’une fois… ne fût-ce que pour me voir là, en toilette de bal, devant une grande glace, afin de me juger et de me connaître ; mais on dit qu’on ne se voit jamais tel qu’on est ! Eh bien, je verrais dans les regards des autres si je plais à tout le monde autant qu’à ma famille.

Quand je demande à mamita si je suis jolie, elle me répond :

— À mes yeux, tu es parfaite, parce que je t’aime.

C’est bien bon, cette réponse-là, mais ce n’est pas une réponse. Grand’mère alors hausse un peu les épaules, et me dit :

— Eh bien, si nous te trouvons à notre gré, que t’importe le reste ?

Ah ! pardon, bonne maman ; je ne vous le dis pas, mais cela m’importe beaucoup à présent, et je ne suis plus d’âge à me payer de ces raisons-là. Je vois bien qu’une fille laide paraît toujours maussade, qu’on la plaint si elle en souffre, qu’on s’en moque si elle ne s’en doute pas.

Je vois bien que la première chose qu’on apprécie, en regardant mamita, c’est sa beauté, qui plaît aux yeux et qui fait qu’on l’aime tout de suite. Oui, oui, je vois bien que la beauté est la première richesse, la première puissance d’une femme, la seule durable, quoi qu’on en dise, puisque, avec ses quarante-quatre ans, mamita écrase encore bien des jeunes personnes, et que grand’mère, avec sa soixantaine, a encore un amoureux, ce singulier M. Roque, qui la demande tous les ans en mariage devant tout le monde. Il ne faut pas m’en donner à garder, bonne maman : vous avez encore un petit brin de