Page:Sand - La Filleule.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faudrait vendre de la terre, et je n’ai pas réuni quatre jolis domaines pour les dépecer. Voyons, mon fils, prononcez-vous.

Je demandai timidement à mon père s’il désirait que je fusse avocat ou médecin ; je ne me sentais pas de vocation spéciale, mais ma mère m’avait enseigné l’obéissance.

J’aurais travaillé pour elle par amour ; j’aurais travaillé pour lui par devoir.

Mon père parut embarrassé de ma question.

— J’aimerais bien, dit-il, que vous fussiez avocat ou médecin, ou toute autre chose qui vous fît gagner de l’argent.

— Avez-vous besoin, repris-je, que je gagne de l’argent pour vous ?

— Pour moi ? s’écria-t-il en souriant. Non, mon garçon, je te remercie ; gagnes-en pour toi-même. Tu peux compter sur douze cents livres de pension que je te servirai. C’est peu à Paris, à ce qu’on dit ; c’est beaucoup pour moi. Gagne de quoi être plus riche de mon vivant, voilà ce que je te conseille.

— Combien me donnez-vous de temps pour gagner de quoi vous épargner ce sacrifice ?

— Tout le temps que tu voudras, répondit-il. Je te dois une pension ; ma fortune me le permet, ma position me le commande ; mais ne songe pas à me réclamer autre chose jusqu’à ce que tu te disposes à te marier.

Là-dessus, mon père me donna cent francs pour mon premier mois, trente francs pour mon voyage, un manteau, une malle pleine de linge et une poignée de main. Je vis qu’il était impatient de me voir partir ; je partis le soir même, emportant les cheveux de ma mère, quelques livres qu’elle avait aimés et des violettes cueillies sur sa tombe.

J’esquisse rapidement ces premières années de ma vie. J’espère n’y apporter ni orgueil, ni aigreur, ni aucune emphase de douleur ou de mélancolie. Je veux arriver au récit d’une phase