Page:Sand - La Filleule.djvu/194

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Clet n’exagérait rien en la comparant à une sirène. Elle avait des séductions irrésistibles, une grâce enchanteresse, rehaussée par une élégance luxueuse d’un goût exquis. Elle ne paraissait nulle part sans éclipser toutes les autres femmes ; aussi aimait-elle à paraître partout. Sa coquetterie était effrénée, et longtemps elle avait eu un cortége d’esclaves qui auraient vendu leur âme pour un de ses sourires. Mais on se lasse pourtant, à la longue, d’une vaine poursuite. Outre que les fréquents voyages de la duchesse en Espagne, en Angleterre, en Italie, en Orient même (car elle avait l’humeur voyageuse), avaient souvent rompu ses relations et changé son entourage, il était enfin de notoriété publique que cette agaçante beauté était d’une vertu invincible ou d’une fidélité de cœur à son mari qui rendait sa fidélité conjugale inébranlable.

— Savez-vous, dit Anicée en souriant, que ce portrait ressemble un peu à celui de la belle Pilar, et que le duc paraît destiné à inspirer les passions les plus rares, celles qui subjuguent la coquetterie même ?

— Il y a plus d’analogie qu’on ne pense, répondit Stéphen, entre les vieux et les nouveaux chrétiens d’Espagne. Chez les Méridionaux, quand le cœur et les sens s’attachent exclusivement à un être de leur choix, l’imagination ne reste pas moins accessible à la fantaisie de plaire à tous, et c’est une fantaisie ardente, soutenue, qui leur semble un dédommagement légitime de la vertu. La gitana alimente sa coquetterie par la cupidité, l’Espagnole par la vanité. Il faut bien qu’il y ait une cause à cette antique jalousie classique des Espagnols pour leurs femmes. Celle-là me semble assez fondée.

— Et le duc, est-il jaloux ? demanda madame Marange.

— Il l’a été, répondit Stéphen, et il faut que ces deux époux aient l’un pour l’autre un fonds d’affection bien sincère et bien solide, pour qu’il ait résisté aux tempêtes de leur intérieur.