Page:Sand - La Filleule.djvu/198

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gnais aussi, en voyant de près ma fille, en lui parlant, de ne pouvoir contenir mon émotion. Mais puisque aujourd’hui…

— Attendez à demain, dit Stéphen ; si la duchesse se fait un noble et doux plaisir de pousser elle-même votre fille dans vos bras, nous ne devons pas l’en priver d’avance. Je reviendrai demain vous dire le résultat de l’entrevue, et nous aviserons. Jusque-là, madame de Saule agira, avec la duchesse, selon la conscience de son affection pour Morenita, et conformément à l’autorité que vous lui transmettez par ma bouche.

On voit, par ce qui précède, que jamais le duc n’avait parlé à madame de Saule ni à Morenita. Il les avait guettées ou rencontrées assez souvent pour bien connaître les traits de l’une et de l’autre. Un double enthousiasme s’était allumé en lui, l’orgueil paternel et une admiration pour Anicée dont il lui eût été difficile à lui-même de définir la nature.

Au fait, c’était un couple idéal, en même temps qu’un contraste charmant, que ces deux êtres si divers : Anicée avec son incontestable beauté, image de la sérénité de son âme ; Morena avec sa physionomie expressive et sa vivacité nerveuse. D’un côté, le charme profond et doucement pénétrant ; de l’autre, la séduction impétueuse et saisissante. Morena se trompait en se croyant laide. Sa petite personne, dont elle s’inquiétait si fort, était un chef-d’œuvre de la nature. Stéphen, observateur savant, voyait, avec ses yeux de parrain et de philosophe, certains indices révélateurs de facultés morales incomplètes dans certaines grâces que l’artiste seul eût adorées. Mais l’homme est généralement plus poëte que sage, il aime mieux ce qui l’étonne et l’inquiète que ce qui le rassure et le charme. Personne, si ce n’est Stéphen ou Roque, ne pouvait voir Morenita sans subir une sorte de fascination, ou tout au moins une curiosité maladive d’étudier l’étrangeté de cette grâce, de cet esprit, de cette destinée.

Faible de muscles, robuste de santé et de volonté, remar-