Page:Sand - La Filleule.djvu/21

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tures médicales. Je ne me contente pas de si peu, ni toi non plus, j’espère. Comme toi, j’ai quelque fortune dans l’avenir ; comme toi, des parents qui ne m’imposent pas le choix d’un état ; comme toi, des goûts simples, des habitudes de frugalité rustique qui me permettent de vivre avec le peu qu’on me donne. Tous deux, nous comprenons la douceur de l’étude ; tous deux, nous pouvons être heureux par là. Je suis résolu à l’être, je le suis déjà. C’est à toi d’écarter les vulgaires obstacles qui te feront perdre la seule chose précieuse qui soit au monde, le temps ! les heures de cette vie si courte qui ne sont malheureusement pas comptées doubles pour l’esprit studieux et avide ! C’est à toi surtout de chercher là ta force et ta consolation, car je te vois brisé intérieurement et incapable de trouver dans le désordre la stupide ressource des ivresses vulgaires. Allons, courage, ferme ta porte, perce ton mur, endurcis ton cœur, non contre le besoin naturel que tout esprit juste éprouve d’assister son semblable, mais contre la condescendance banale qui dégénère vite en faiblesse et en duperie.

Edmond Roque raisonnait fort bien à son point de vue ; mais il ne voyait pas parfaitement clair dans mon âme. Comment l’eût-il fait ? Je ne me voyais moi-même qu’à travers un nuage. Il était Méridional, il avait grandi sous ce ciel dont la lumière accuse vivement et un peu sèchement tous les objets. Moi j’étais du Berry, un pays où les brumes de l’automne sont profondes, où les vents soufflent avec violence, où la température, inconstante et capricieuse, rend l’homme très-incertain, moins grave en réalité qu’en apparence, volontiers indolent et même fatigué de vivre, avant d’avoir vécu.

Vaincu par ses exhortations, je perçai ma cloison ; mais on ne change pas ses instincts ; mon moyen tourna contre moi. J’avais résolu de n’ouvrir qu’à ceux qui mériteraient une exception. Il arriva que je n’en trouvai pas un seul qui n’eût droit au sacrifice de mon temps et de mon travail. Sans ce