Page:Sand - La Filleule.djvu/222

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Ici, Morenita, gagnée par une émotion soudaine, fondit en larmes sans trop se rendre compte de ce qu’elle éprouvait et de ce qu’elle disait ; puis elle se calma brusquement en ajoutant :

— Mais mon père est bien coupable, lui, puisqu’il l’a abandonnée à son malheur, à son repentir, à la pitié d’autrui. Pauvre femme ! être renvoyée, oubliée, méprisée ainsi parce qu’elle n’était pas noble, parce qu’elle était pauvre ! Pourquoi l’avoir aimée, si elle n’était pas digne de lui ? Ah ! tenez, vous m’avez fait bien du mal ! vous m’avez fait maudire mon père !

Elle pleura encore beaucoup ; puis, passant à un sentiment contraire, elle s’effraya de ce qu’elle pensait et supplia Rosario d’oublier ce qu’elle venait de dire. Elle chercha des raisons pour excuser le duc de Florès, elle s’efforça d’en trouver pour le respecter et pour l’aimer encore. Mais ces révélations, trop fortes pour son âge et très-dangereuses pour un caractère comme le sien, jetèrent un si grand trouble dans son âme et une si grande confusion dans ses idées, que Rosario, qui n’avait rien su prévoir de tout cela, se repentit d’avoir été si vite.

Il faisait son possible pour la consoler, et elle ne l’écoutait guère. Tout d’un coup, ses idées prirent un autre cours.

— Vous dites que nous sommes gitanos ? s’écria-t-elle. Qu’est-ce donc que cette race maudite ? J’en ai entendu parler quelquefois. Je crois que j’ai vu passer de ces gens qu’on appelle en France des bohémiens. Ils étaient laids, sales, misérables, affreux ! Ah ! oui, je me rappelle tout ! Un soir, M. Roque (vous dites que vous le connaissez) a parlé longuement devant moi de cette tribu vagabonde : c’est bien là M. Roque ! le savant qui ne se rappelle rien quand il disserte ! À présent, je me souviens, moi, et je comprends pourquoi mamita voulait toujours changer la conversation, pourquoi sa mère toussait pour l’interrompre. Tout cela m’étonnait. Mon parrain n’était pas là ;