Page:Sand - La Filleule.djvu/273

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heures, si Morenita quittait la duchesse un peu plus tard, elle trouvait son frère installé dans sa chambre ; si c’était un peu plus tôt, elle l’attendait dans le jardin et le faisait entrer sans bruit et sans trouble.

Ils causaient ensemble ou travaillaient jusqu’après minuit, souvent plus tard, à mesure que l’étude prit une place importante dans leurs veillées. Algénib souhaitait avec passion que sa sœur apprît la langue, les chants et les danses de sa tribu. Cette fantaisie, qui d’abord parut étrange à Morenita, la gagna à mesure qu’elle consentit à la satisfaire. Sa voix charmante, un peu voilée, et que les leçons de Schwartz n’avaient encore osé développer, à cause de son jeune âge, n’avait rien perdu de ce timbre guttural propre aux gosiers de sa race. Son corps souple trouvait en lui-même, et sans autre guide que l’instinct, toute la grâce des almées. Algénib n’avait plus qu’à régler à sa guise les pas et les poses de sa danse, comme il n’avait qu’à meubler sa mémoire des airs et des paroles de ses chants.

Il était réellement doué d’un génie musical particulier. Il avait appris la musique officielle, comme disait Schwartz, avec beaucoup de facilité ; mais il s’était toujours senti oppressé de ses idées propres et du vague souvenir de ces chants par lesquels Pilar avait charmé son enfance. Il se rappelait quel prestige cette chanteuse illettrée avait exercé dans les campagnes et les châteaux de l’Andalousie. Il avait hasardé devant Stéphen et Schwartz quelques fragments de ces souvenirs incomplets. Il avait été frappé de l’intérêt qu’ils y avaient pris et de l’impression qu’ils en avaient reçue. Dès lors il s’était tu, disant qu’il ne se rappelait pas autre chose, et voulant mettre en réserve son petit fonds pour l’avenir, sans en faire part à personne.

— Quand j’ai vu, en poursuivant mes études classiques, dit-il à Morenita, un soir qu’elle l’interrogeait plus particulièrement sur son passé, qu’il fallait, pour percer la foule, avoir des