Page:Sand - La Filleule.djvu/275

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bares, je danserai peut-être ! ne pouvant parler à l’âme par les oreilles, je parlerai au sens par les yeux : je ferai les deux choses que la fourmi conseillait à la cigale, et que la cigale eût dû faire.

— Quoi ! tu veux me quitter ? dit Morenita effrayée. Tu avais juré de ne plus jamais m’abandonner chez la race étrangère !

— Que puis-je faire pour une sœur qui a un père grand d’Espagne ? répondit Algénib, qui ne perdait pas une occasion de détacher Morenita de ses liens avec le monde. Et quel besoin a de moi la fille adoptive du beau Stéphen et de la tendre mamita ? Ils ont une fortune ou un rang à lui donner ; moi, je ne lui offrirais que le travail, la vie errante et une pauvreté relative.

— La pauvreté ! De quoi vis-tu donc aujourd’hui ? Tu as de beaux habits, du linge fin, des bijoux et rien à faire, puisque tu es libre de ton temps et de tes actions ?

— Cela, c’est mon affaire, dit Algénib en souriant. À côté de l’art qui ne nourrit plus l’artiste dès qu’il se repose, il y a l’intelligence des secrets du cœur humain qui lui crée d’autres ressources. Je te dirai cela plus tard. À présent, tu ne comprendrais pas. Chantons.

— Pourquoi chanter ? pourquoi étudier ensemble, reprit Morenita, si nous devons ne plus nous connaître dans quelques jours, nous séparer pour jamais ?

— Tu veux le savoir ? Eh bien, les gitanos font le métier de découvrir le secret des destinées, et moi je lis clairement dans la tienne. Tu te brouilleras avec la duchesse et même avec ton père ; l’une te chassera, l’autre te laissera partir. La mamita te recevra peut-être ; mais, ou le divin Stéphen t’abreuvera d’affronts que tu ne pourras longtemps supporter, ou il cédera à ta passion, et alors mamita et sa mère…

— Tais-toi, tais-toi, esprit méchant, âme cruelle ! s’écria