Page:Sand - La Filleule.djvu/30

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sayé de deviner l’euphonie. Je me fis comprendre, et le jeune vagabond me répondit :

— Nous sommes gitanos d’Andalousie. Mon père nous a quittés cet hiver pour aller chercher fortune à Paris, d’où il nous a fait écrire de venir le rejoindre. Nous nous sommes mis en route, il y a trois mois ; mais voilà ma mère très-malade tout d’un coup et qui va mourir ici, parce qu’on ne veut la recevoir nulle part.

Interrogé sur la cause de ce refus barbare, il sourit amèrement, baissa les yeux, et, les relevant sur moi, encouragé peut-être par la compassion qu’il lisait dans les miens :

— Regardez ma mère ! me dit-il d’un air suppliant.

La malheureuse, dans une nouvelle étreinte de souffrance, avait laissé tomber de ses épaules le lambeau de couverture dont nous l’avions vue drapée : elle était dans un état de grossesse avancé.

— Il n’est pas nécessaire d’être, comme toi, passé maître bachelier de Salamanque, s’écria Edmond Roque en me rejoignant, pour voir que cette pauvre mendiante est en proie aux premières douleurs de l’enfantement. Ah çà ! qu’allons-nous en faire ? car, de la laisser là aux prises avec les seules ressources de la nature, qui sont pourtant les meilleures, c’est demander à la Providence de prendre une trop grande responsabilité.

— La Providence, c’est nous qui nous trouvons là, lui répondis-je. Il nous faut essayer de transporter cette femme à notre gîte, et il faudra bien que la mère Floche s’exécute en fait d’hospitalité.

Nous étions en train de chercher comment nous pourrions improviser une sorte de brancard, quand la bohémienne, à qui son fils fit comprendre notre bon vouloir, vainquit sa souffrance avec un courage héroïque, et nous dit par signes qu’elle nous suivrait. Elle ne pouvait pas ou ne voulait pas