Page:Sand - La Filleule.djvu/311

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Roque cheminaient de Genève à Turin, et Morenita avec Algénib cheminaient de Turin à Genève. L’intention de ces derniers était de gagner l’Angleterre par l’Allemagne.

Au sortir du couvent, Morenita, qui, durant sa captivité, avait réussi à échanger secrètement quelques lettres avec le gitano, trouva celui-ci au poste qu’elle lui avait assigné. Il était à la porte de la rue avec une petite compatriote que, moyennant finances, il avait facilement décidée à jouer le rôle indiqué. Il la fit lestement monter dans le fiacre de Clet, sans que le cocher lui-même s’en aperçût.

Aussitôt que Morenita eut franchi la porte du monastère, les deux jeunes gens se prirent par le bras, et, tournant la première rue, s’éloignèrent en courant, comme savent courir les chevreuils et les amoureux. Ils gagnèrent ensuite, sans se trop presser, un faubourg où ils furent reçus dans une maison de mauvaise mine par un homme basané qui portait le costume d’un villageois des environs, mais en qui le type gitano était fortement caractérisé. Il échangea quelques paroles dans sa langue avec Algénib, et servit de guide et d’éclaireur aux fugitifs jusque dans la campagne. À l’entrée d’un pauvre cabaret où mangeaient et buvaient d’autres bohémiens, ils trouvèrent une de ces longues voitures à deux roues qui servent aux colporteurs aisés pour le transport de leurs marchandises. Ils montèrent dans le large compartiment destiné aux ballots. Un nouveau bohémien s’installa dans la partie qui sert de cabriolet au conducteur. Un maigre cheval traînait au pas ce véhicule qui gagna ainsi la grande route, sans passer sous les yeux des douaniers ni de la police, et qui marcha toute la nuit, sans crainte et sans danger, au pied des montagnes.

Cette fuite tranquille, obscure, sans émotion et sans drame, laissa Morenita tout entière au sentiment de sa situation morale. L’espèce de chambre où elle voyageait ainsi était propre, garnie de materas et de couvertures, et éclairée par une petite