Page:Sand - La Filleule.djvu/327

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rage et de la suite dans le travail, en lui donnant l’exemple.

Dans les premiers jours de notre réunion à Genève, ma belle-mère, Roque et moi avions pensé qu’il n’y avait qu’un parti à prendre, qui était de marier les deux gitanos et de veiller ensuite à établir leur existence dans les conditions les moins anormales qu’il nous serait possible de leur créer. À cet effet, j’avais écrit au duc, qui ne m’avait pas répondu, soit qu’il n’eût pas reçu ma lettre, soit qu’il ne sût à quoi se décider, soit qu’il voulût témoigner de son mépris pour une fille rebelle. Je n’insistai pas. Ma chère Anicée était satisfaite de n’avoir plus de concurrents funestes dans sa sollicitude pour Morenita ; mais, quand je lui parlai de conclure le mariage, devenu inévitable et nécessaire selon toutes les apparences, elle me dit en souriant :

— Vous vous trompez tous. Rien ne presse, Morénita est pure. Je n’ai pas eu besoin de l’interroger. J’ai senti dans son premier regard, dans son premier baiser, qu’elle me revenait enfant comme elle était partie. Elle aime Algénib, je le crois. Elle a la volonté de n’aimer que lui, j’en suis sûre. Il y a plus, je te déclare que ma conscience est tranquille, parce que je crois que c’est le seul homme qu’elle puisse aimer. Pourtant, je veux le connaître, ce cœur aigri par les premières impressions de la vie. Je veux savoir si la somme du bien peut l’emporter radicalement en lui sur celle du mal. Cela n’arrivera peut-être pas si nous ne sommes décidés à nous en mêler. Il le faut donc ! Je ne sais si ce sera très-divertissant, car il ne paraît maniable qu’à la surface, ton gitano ; mais nous devons à Morenita de lui faire le meilleur époux possible, ou de la préserver de lui, si décidément c’est un cœur où la haine doit tenir plus de place que l’amour.

Nous étions revenus à Briole en mars 1848, avec le jeune couple, et voici quelle était, vers la fin de l’automne, la situation de notre famille. Je ne sais par quel art magique, révélé à