Page:Sand - La Filleule.djvu/33

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répondit la vieille en m’apportant la progéniture de la bohémienne.

L’emphase de la mère Floche fit sur moi, à mon corps défendant, une certaine impression. Je lui laissai poser le petit être devant moi sur la table et le regardai curieusement. Je n’avais jamais accordé autant d’attention à un pareil objet, et, comme tous les hommes chez qui les entrailles paternelles n’ont pas encore parlé, je ne ressentais pour cette première manifestation de la vie humaine qu’un mélange de dégoût et de pitié.

— C’était bien la peine d’assister cette gracieuse perle d’Andalousie ! disait mon ami en riant. Elle nous a gratifiés d’un petit monstre !

— Ma foi, monsieur, vous n’y connaissez rien, reprit la mère Floche. Cette petite fille, quoique très-brune, est la plus jolie que j’aie jamais vue.

— Joli, ça ? s’écria Roque. Ainsi, mon pauvre Stéphen, nous avons été encore plus laids, nous autres !

— Admirons l’instinct des femmes ! pensais-je ; là où nous ne voyons qu’une ébauche informe de l’œuvre divine, leur appréciation mystérieuse saisit la révélation de l’avenir.

— Mais de quoi avez-vous revêtu cette pauvre créature ? demandai-je à mon hôtesse.

— De ce que j’ai trouvé de plus propre dans les hardes de la bohémienne, répondit-elle. Mais la sage-femme est en train de couper des langes dans un de mes vieux draps, et mon homme a été chercher une mauvaise couverture dont nous lui ferons des couches.

— En attendant, mettons ce marmot dans une enveloppe moins rude, pensai-je.

Et, ouvrant ma malle, j’y trouvai des mouchoirs de toile et un grand cache-nez en mérinos dont la mère Floche habilla l’enfant.