Page:Sand - La Filleule.djvu/35

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tivement, et songeant à l’amour des mères, à la mienne par conséquent.

Puis ma rêverie prit un autre cours. Je me demandai ce que c’était que l’énigme de cette destinée humaine qui se pose si diverse à l’entrée de chacun de nous dans le monde, à cet incroyable jeu du hasard qui préside à la vie, et que nous avons besoin d’attribuer, pauvres êtres que nous sommes, à des combinaisons inexplicables de la Providence, pour en justifier la rigueur ou la bizarrerie.

Tout à coup la porte s’ouvrit et je vis apparaître le petit bohémien. Son teint olivâtre n’était guère susceptible de révéler la pâleur de l’émotion ou de la fatigue ; mais son œil fixe, sa bouche contractée, donnaient à ce visage d’enfant une expression de douleur et de volonté au-dessus de son âge.

— Rendez-moi ma sœur, me dit-il laconiquement en espagnol. Ma mère est morte !

Je gardai l’enfant dans mes bras, et je descendis à la hâte. Je trouvai Roque constatant que la bohémienne, épuisée de fatigue, de misère et peut-être de chagrin, venait de succomber à l’effort suprême de l’enfantement.

Quand le petit gitano, qui m’avait suivi, se fut assuré de la vérité, dont apparemment il doutait encore, une crise de désespoir violent succéda à son apparente fermeté. Il se jeta sur le cadavre en criant, puis il se mit à lui parler dans sa langue asiatique, sur un ton dolent, entrecoupé de sanglots qui, parfois, prenaient l’intonation d’un chant ou d’une déclamation. Pendant plus d’une heure, il fut impossible de le calmer, et nos exhortations semblaient lui inspirer une sorte de rage impuissante ou de haine sombre. Cette scène, à laquelle les autres assistants, occupés de remplir les formalités prescrites en pareil cas, donnèrent forcément peu d’attention, me pénétra vivement. Je ne pouvais en détacher mes yeux. La face pâle de cette morte, encadrée de longs cheveux noirs, représentait