Page:Sand - La Filleule.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que dans un nuage. C’est un nuage doré, il est vrai, mais il n’en est pas moins impénétrable.

Pendant que je parlais, madame Marange regardait sa fille comme pour lui dire : « Je m’attendais à cela. »

Quand j’eus parlé :

— Voilà mot pour mot, dit-elle, les objections que j’ai faites à ma chère Anicée, lorsqu’elle m’a exprimé son désir d’élever cette pauvre petite. Ces objections sont très-fortes et subsistent encore dans mon esprit, en partie. Mais ma fille dit à cela que nous serions coupables de donner à la prévoyance plus qu’à l’entraînement ; et j’ai aussi bien de la peine à croire, je vous le confesse, que le premier mouvement du cœur, qui est toujours le meilleur, ne soit pas aussi le plus sage. Voyons, Morena ne sera peut-être ni un ange ni un démon, mais tout bonnement une fille insignifiante ; et, dans ce cas-là, rien n’est si facile que de lui faire une existence appropriée à ses facultés et à ses goûts. Mais admettons votre hypothèse : si elle est un ange, nous l’aimerons assez pour satisfaire l’ambition d’un ange. Si elle est un démon, nous la plaindrons et lui pardonnerons assez pour qu’elle soit un peu moins démon. Est-ce qu’on doit regarder, avant de faire ce que Dieu prescrit, si on en sera récompensé en cette vie ? Non sans doute. Je vois dans vos yeux que vous pensez comme nous ; seulement, vous craignez que le bien-être et la culture de l’intelligence ne développent le mauvais germe qui peut se trouver dans cette petite créature. Là-dessus, Anicée ne partage pas mes craintes ; elle dit que, si le ver est déjà dans le fruit, un bon soleil ne lui fera pas tant de mal, en nourrissant l’un et l’autre, que le froid qui gèle et tue le fruit avec le ver.

— Je vous avouerai que le ver me fait grand’peur, repris-je.

Et je racontai de quelle manière le petit gitano, le frère de