Page:Sand - La Filleule.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Alors vous pensez, dit-elle, qu’ils ont l’idée de me voler ma pauvre petite pour en faire une saltimbanque ? Ce serait bien la peine de l’avoir fait baptiser et d’en avoir eu un si grand soin ! Alors, monsieur, il faut nous réjouir de ce que ces dames charitables veulent s’en charger, et il faut la leur donner le plus tôt possible ; car, une fois que vous serez parti, avec mon mari malade comme ça, comment pourrai-je la défendre, cette pauvre créature innocente ?

J’étais complétement de l’avis de la bonne femme, et les circonstances de cette soirée levaient tous mes scrupules. Je passai la nuit à veiller autour de la maison. Dès le jour, je courus à Avon, d’où je ramenai, primo, une femme que la mère Floche consentait à prendre pour l’aider à soigner son mari ; secundo, une petite charrette attelée d’un âne robuste et couverte en toile. Je pris les rênes, après avoir caché la brebis noire au fond de ce modeste véhicule, à côté de Morena bien couchée dans sa corbeille.

Je fis ces dispositions avec beaucoup de mystère ; je pouvais compter sur la prudente discrétion de mes hôtes, et je fis plusieurs détours dans la forêt, m’assurant bien partout et avec soin que je n’étais ni observé ni suivi. On eût dit que l’enfant comprenait mes desseins ; car elle ne trahit pas une seule fois mal à propos sa présence par un vagissement.

J’entrai par la porte du parc qui touchait à la forêt. J’y rencontrai madame de Saule, qui m’aida à m’introduire avec mon précieux bagage dans la maison, sans être vu de ses domestiques, dont elle n’était pas parfaitement sûre.

C’est ainsi que j’arrivai pour la seconde fois dans cet éden que j’avais quitté la veille avec peu d’espoir d’y revenir aussi vite que je le souhaitais.