Page:Sand - La Filleule.djvu/78

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nous sommes assez heureux pour vous avoir découvert, restez-nous. Peu à peu, je suis persuadée que vous prendrez de l’influence sur Julien, et que vous le dégoûterez des gens et des choses frivoles.

Cette bonne mère n’eut pas de peine à me convaincre. La pensée ne me vint seulement pas de lui dire qu’elle venait d’imaginer un remède qui pouvait être pire que le mal. Je me sentais si fort de la conscience de mon respect pour sa fille, que je ne prévis pas une chose bien simple et qui devait arriver nécessairement : c’est que Clet, par dépit, donnerait à entendre, dans un sens ironique ou malveillant, que je lui étais préféré.

Dès ce jour la lutte fut engagée sourdement entre lui et moi. Il se borna d’abord à observer, puis me railla de filer le parfait amour, sans espoir et sans profit ; enfin, il partit brusquement, résolu, non à calomnier madame de Saule (son âme n’était pas capable de cette noirceur préméditée), mais tout porté à dénigrer nos relations lorsqu’elles gêneraient son amour-propre.

Madame Marange avait de la fortune ; mais la terre de Saule, qui avait appartenu à son gendre, était sans importance. M. de Saule avait eu des emplois assez brillants pour suppléer à l’insuffisance de son patrimoine. Après sa mort, sa veuve, qui n’avait jamais eu le goût du monde, avait souhaité d’habiter la campagne une grande partie de l’année, et, aux diverses résidences qu’elle possédait, elle avait préféré celle-là à cause du site. On avait donc décoré avec une élégante simplicité le petit château, et agrandi le jardin et le parc aux dépens des prairies environnantes ; l’exploitation agricole offrant un mince revenu, on n’avait pas à s’en occuper beaucoup, et on sortait peu de la réserve, si ce n’est pour aller rendre des services pleins de simplicité et de cordialité aux gens de la campagne, quelquefois pour visiter en voiture les plus beaux sites environ-