Page:Sand - La Filleule.djvu/86

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pour les contenir, et où la circulation du jeune sang suppléait parfois à l’insuffisance du combustible, ne manquaient pas d’un certain charme. Les trois ou quatre amis des deux amis étaient des jeunes gens assez distingués pour les apprécier. Au milieu de la légèreté un peu folle de leur âge, l’influence pure de Stéphen, le souffle ardent de Roque faisaient passer des rayons de poésie ou des éclairs d’esprit. On discutait sur toutes choses avec chaleur, avec ce mélange d’entêtement, de mauvaise foi et d’ingénuité insouciante qui est propre aux jeunes gens de tous les pays, mais à ceux de France particulièrement.

Quand deux ou trois oisifs de première année se trouvaient là aussi, les fréquentes interruptions, les saillies pittoresques, les applaudissements ou les huées de cet auditoire désintéressé dans les questions soulevées, brisaient forcément l’obstination passionnée de Roque et faisaient passer dans la conversation d’autres courants d’idées que Stéphen aimait assez à saisir au vol, à fixer par une réflexion jetée comme au hasard, et à livrer à l’analyse hachée et variée des autres.

Pendant ce temps, il rentrait dans son silence, et, tout en suivant leurs raisonnements ou leurs déraisonnements, il pensait un peu à autre chose. Quelquefois on le priait de jouer sur son piano un air du pays qui, comme une brise rafraîchissante, planait sur ces jeunes têtes ; et cependant on n’écoutait pas. Roque, qui n’avait jamais rien écouté d’inutile, entamait une dissertation sur la musique des Chinois et des Indiens dans les temps primitifs. On ne l’écoutait pas non plus ; mais on entendait de chaque oreille le musicien et le savant, et, au milieu de ce bruit de paroles, de cette fumée de tabac et de ce décousu d’idées qui flottaient au-dessus de sa tête, Stéphen s’oubliait au piano et improvisait sans le savoir, tout en recueillant quelques bribes de la causerie des autres. Il lui semblait être alors sous les noyers de son village ou sous les chênes de la forêt de Fontainebleau, et saisir au loin les sons vagues de la