Page:Sand - La Filleule.djvu/89

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un grand compositeur s’il le voulait. Stéphen, qui avait appris de sa mère, à l’âge de huit ans, les premiers éléments des règles musicales, et qui, depuis, n’avait jamais ouvert un cahier de musique, eut bien de la peine à croire que l’Allemand ne continuait pas à se moquer de lui. D’après son insistance, il pensa que le pauvre diable manquait de leçons, et il allait lui proposer, avec son irréflexion de charité habituelle, de devenir son élève, lorsque Schwartz, comme s’il eût deviné sa pensée, s’écria :

— Surtout ne prenez pas de leçons ! Vous êtes d’une intelligence à étudier tout seul la partie scientifique ; mais ne demandez jamais votre sentiment, votre goût, vos idées à personne. Vous savez l’harmonie ?

— Non vraiment, monsieur, répondit Stéphen ; c’est tout au plus si je sais qu’il y a une science pour régler ces lois qui, trop violées, déchirent l’oreille, et, trop observées, refroidissent l’émotion.

— Voilà une grande parole ! s’écria Schwartz. Ah ! monsieur, vous savez ce que c’est que l’harmonie mieux que tous ceux qui se sont mêlés de la définir, et vous possédez la pratique sans connaître la théorie. Je me suis bien aperçu de cela en vous écoutant. Vous faites des fautes d’orthographe musicale qui sont d’un grand artiste et que vous auriez le droit d’imposer comme du purisme si vous étiez auteur célèbre.

— Mes fautes d’orthographe, les voici, dit Stéphen en reproduisant sur le piano certains passages de ses airs du Berry. N’est-ce pas, c’est là ce qui vous étonne et vous charme ? Moi, cela me charme sans m’étonner, parce que mon oreille y est habituée et que mon sentiment en a besoin. Je ne saurais vous dire le nom de ces accords ; je ne le connais pas. Ils me plaisent, parce que je les ai entendu faire aux ménétriers de mon pays. Quant à ces transitions, je sais bien qu’elles ne