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comte Hoditz, après que le roi eut quitté Roswald. Il entra d’un air riant et affable que je ne lui avais pas vu sous son incognito. Sous son pseudonyme, et en pays étranger, il était un peu gêné. À Berlin, il me sembla avoir retrouvé toute la majesté de son rôle, c’est-à-dire la bonté protectrice et la douceur généreuse dont il sait si bien orner dans l’occasion sa toute-puissance. Il vint à moi en me tendant la main et en me demandant si je me souvenais de l’avoir vu quelque part. « Oui, monsieur le baron, lui répondis-je, et je me souviens que vous m’avez offert et promis vos bons services à Berlin, si je venais à en avoir besoin. » Alors je lui racontai avec vivacité ce qui m’était arrivé à la frontière, et je lui demandai s’il ne pouvait pas faire parvenir au roi la demande d’une réparation pour cet outrage fait à un maître illustre et pour cette contrainte exercée envers moi. — « Une réparation ! répondit le roi en souriant avec malice, rien que cela ? M. Porpora voudrait-il appeler en champ clos le roi de Prusse ! et mademoiselle Porporina exigerait peut-être qu’il mît un genou en terre devant elle ! »

Cette raillerie augmenta mon dépit : « Votre Majesté peut ajouter l’ironie à ce que j’ai déjà souffert, répondis-je, mais j’aimerais mieux avoir à la bénir qu’à la craindre. »

Le roi me secoua le bras un peu rudement : « Ah ! vous jouez aussi au plus fin, dit-il en attachant ses yeux pénétrants sur les miens : je vous croyais simple et pleine de droiture, et voilà que vous me connaissiez parfaitement bien à Roswald ? » — Non, Sire, répondis-je, je ne vous connaissais pas, et plût au ciel que je ne vous eusse jamais connu ! — « Je n’en puis dire autant, reprit-il avec douceur ; car sans vous, je serais peut-être resté dans quelque fossé du parc de Roswald.