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de ne parler à qui que ce soit du service que vous m’avez rendu, et de la visite que je vous ai faite ce soir. Bien qu’il n’y ait rien que de fort honorable pour nous deux dans mon empressement à vous remercier, cela donnerait lieu à une idée très-fausse des relations d’esprit et d’amitié que je désire avoir avec vous. On vous croirait avide de ce que, dans le langage des cours, on appelle la faveur du maître. Vous seriez un objet de méfiance pour les uns, et de jalousie pour les autres. Le moindre inconvénient serait de vous attirer une nuée de solliciteurs qui voudraient faire de vous le canal de leurs sottes demandes ; et comme vous auriez sans doute le bon esprit de ne pas vouloir jouer ce rôle, vous seriez en butte à leur obsession ou à leur inimitié. — Je promets à Votre majesté, répondis-je, d’agir comme elle vient de me l’ordonner. — Je ne vous ordonne rien, Consuelo, reprit-il ; mais je compte sur votre sagesse et sur votre droiture. J’ai vu en vous, du premier coup d’œil, une belle âme et un esprit juste ; et c’est parce que je désirais faire de vous la perle fine de mon département des beaux-arts, que j’avais envoyé, du fond de la Silésie, l’ordre de vous fournir une voiture à mes frais pour vous amener de la frontière, dès que vous vous y présenteriez. Ce n’est pas ma faute si on vous en a fait une espèce de prison roulante, et si on vous a séparée de votre protecteur. En attendant qu’on vous le rende, je veux le remplacer, si vous me trouvez digne de la même confiance et du même attachement que vous avez pour lui. »

J’avoue, ma chère Amélie, que je fus vivement touchée de ce langage paternel et de cette amitié délicate. Il s’y mêla peut-être un peu d’orgueil ; et les larmes me vinrent aux yeux, lorsque le roi me tendit la main en me quittant. Je faillis la lui baiser, comme