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— Ah ! qui sait, ma chère ? reprit la première ; quand on est grande comédienne, on tombe comme l’on veut, et on ne craint pas de se faire un peu de mal. Cela fait si bien dans le public !

— Que diable a donc eu cette Porporina ce soir, pour nous faire un pareil esclandre ! disait, dans un autre endroit du vestibule, où se pressait le beau monde en sortant, La Mettrie au marquis d’Argens ! Est-ce que son amant l’aurait battue ?

— Ne parlez pas ainsi d’une fille charmante et vertueuse, répondit le marquis ; elle n’a pas d’amant, et si elle en a jamais, elle ne méritera pas d’être outragée par lui, à moins qu’il ne soit le dernier des hommes.

— Ah ! pardon, marquis ! j’oubliais que je parlais au preux chevalier de toutes les filles de théâtre, passées, présentes et futures ! À propos, comment se porte mademoiselle Cochois ?

— Ma chère enfant, disait au même instant la princesse Amélie de Prusse, sœur du roi, abbesse de Quedlimburg, à sa confidente ordinaire, la belle comtesse de Kleist, en revenant dans sa voiture au palais, as-tu remarqué l’agitation de mon frère pendant l’aventure de ce soir ?

— Non, madame, répondit madame de Maupertuis, grande gouvernante de la princesse, personne excellente, fort simple et fort distraite ; je ne l’ai pas remarquée.

— Eh ! ce n’est pas à toi que je parle, reprit la princesse avec ce ton brusque et décidé qui lui donnait parfois tant d’analogie avec Frédéric ; est-ce que tu remarques quelque chose, toi ? Tiens ! remarque les étoiles dans ce moment-ci : j’ai quelque chose à dire à de Kleist, que je ne veux pas que tu entendes. »

Madame de Maupertuis ferma consciencieusement l’oreille, et la princesse, se penchant vers madame de Kleist, assise vis-à-vis d’elle, continua ainsi :