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qui êtes reines du monde par le fait, comme nous le sommes par le droit, et votre lot est le meilleur. Il n’est point de tête couronnée que vous ne puissiez nous enlever quand il vous en prend fantaisie, et je ne serais pas étonnée de voir un jour mademoiselle Hippolyte Clairon, qui est une fille d’esprit, devenir margrave d’Anspach, en concurrence avec ma sœur, qui est une bête. Allons, donne-moi une pelisse, de Kleist, je veux vous reconduire jusqu’au bout de la galerie.

— Et Votre Altesse reviendra seule ? dit madame de Kleist, qui paraissait fort troublée.

— Toute seule, répondit Amélie, et sans aucune crainte du diable et des farfadets qui tiennent pourtant cour plénière dans le château depuis quelques nuits, à ce qu’on assure. Viens, viens, Consuelo ! nous allons voir la belle peur de madame de Kleist en traversant la galerie. »

La princesse prit un flambeau et marcha la première, entraînant madame de Kleist, qui était en effet très-peu rassurée. Consuelo les suivit, un peu effrayée aussi, sans savoir pourquoi.

« Je vous assure, madame, disait madame de Kleist, que c’est l’heure sinistre, et qu’il y a de la témérité à traverser cette partie du château dans ce moment-ci. Que vous coûterait-il de nous laisser attendre une demi-heure de plus ? À deux heures et demie, il n’y a plus rien.

— Non pas, non pas, reprit Amélie, je ne serais pas fâchée de la rencontrer et de voir comment elle est faite.

— De quoi donc s’agit-il ? demanda Consuelo en doublant le pas pour s’adresser à madame de Kleist.

— Ne le sais-tu pas ? dit la princesse. La femme blanche qui balaie les escaliers et les corridors du palais, lorsqu’un membre de la famille royale est près de mou-