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qu’elle vienne pour moi. La diablesse sait bien que pour être heureuse, il me faut l’une ou l’autre de ces deux morts.

— Ah ! madame, ne parlez pas ainsi dans un pareil moment ! dit madame de Kleist, dont les dents se serraient tellement, qu’elle prononçait avec peine. Tenez, au nom du ciel, arrêtez-vous et écoutez : cela ne fait-il pas frémir ? »

La princesse s’arrêta d’un air moqueur, et le bruit de sa robe de soie, épaisse et cassante comme du carton, cessant de couvrir les bruits plus éloignés, nos trois héroïnes, parvenues presque à la grande cage d’escalier qui s’ouvrait au fond de la galerie, entendirent distinctement le bruit sec d’un balai qui frappait inégalement les degrés de pierre, et qui semblait se rapprocher en montant de marche en marche, comme eût fait un valet pressé de terminer son ouvrage.

La princesse hésita un instant, puis elle dit d’un air résolu :

« Comme il n’y a rien de surnaturel, je veux savoir si c’est un laquais somnambule ou un page espiègle. Baisse ton voile, Porporina, il ne faut pas qu’on te voie dans ma compagnie. Quant à toi, de Kleist, tu peux te trouver mal si cela t’amuse. Je t’avertis que je ne m’occupe pas de toi. Allons, brave Rudolstadt, toi qui as affronté de pires aventures, suis-moi si tu m’aimes. »

Amélie marcha d’un pas assuré vers l’entrée de l’escalier ; Consuelo la suivit sans qu’elle lui permît de tenir le flambeau à sa place ; et madame de Kleist, aussi effrayée de rester seule que d’avancer, se traîna derrière elles en se cramponnant au mantelet de la Porporina.

Le balai infernal ne se faisait plus entendre, et la princesse arriva jusqu’à la rampe au-dessus de laquelle elle avança son flambeau pour mieux voir à distance.