Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155

aimait Consuelo à sa manière, et il eût voulu lui inspirer en réalité l’attachement et l’admiration que ses faux amis les beaux esprits jouaient auprès de lui. Il eût donné peut-être beaucoup, lui qui n’aimait guère à donner, pour connaître une fois dans sa vie le plaisir d’être aimé de bonne foi et sans arrière-pensée. Mais il sentait bien que cela n’était pas facile à concilier avec l’autorité dont il ne voulait pas se départir ; et, comme un chat rassasié qui joue avec la souris prête à fuir, il ne savait trop s’il voulait l’apprivoiser ou l’étrangler. « Elle va trop loin, et cela finira mal, se disait-il en remontant dans sa voiture ; si elle continue à faire la mauvaise tête, je serai forcé de lui faire commettre quelque faute, et de l’envoyer dans une forteresse pendant quelque temps, afin que le régime émousse ce fier courage. Pourtant j’aimerais mieux l’éblouir et la gouverner par le prestige que j’exerce sur tant d’autres. Il est impossible que je n’en vienne pas à bout avec un peu de patience. C’est un petit travail qui m’irrite et qui m’amuse en même temps. Nous verrons bien ! Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne faut pas qu’elle parte maintenant, pour aller se vanter de m’avoir dit mes vérités impunément. Non, non ! elle ne me quittera que soumise ou brisée… » Et puis le roi qui avait bien d’autres choses dans l’esprit, comme on peut croire, ouvrit un livre pour ne pas perdre cinq minutes à d’inutiles rêveries, et descendit de sa voiture sans trop se rappeler dans quelles idées il y était monté.

La Porporina, inquiète et tremblante, se préoccupa un peu plus longtemps des dangers de sa situation. Elle se reprocha beaucoup de n’avoir pas insisté jusqu’au bout sur son départ, et de s’être laissé engager tacitement à y renoncer. Mais elle fut tirée de ses méditations par un envoi d’argent et de lettres que madame de