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Pendant ce temps, un des grenadiers qui l’accompagnaient à cheval s’approcha de la portière opposée, et lui dit rapidement à demi-voix :

« Soyez tranquille, signora, il y aurait bien du sang de versé avant qu’on vous fît aucun mal. »

Dans son trouble, Consuelo ne distingua pas les traits de cet ami inconnu, qui s’éloigna aussitôt. La voiture prit, au grand galop, la route de la forteresse ; et au bout d’une heure, la Porporina fut incarcérée dans le château de Spandaw avec toutes les formalités d’usage ou plutôt avec le peu de formalités dont un pouvoir absolu a besoin pour procéder.

Cette citadelle, réputée alors inexpugnable, est bâtie au milieu d’un étang formé par le confluent de la Havel et de la Sprée. La journée était devenue sombre et brumeuse, et Consuelo, ayant accompli son sacrifice, ressentit cet épuisement apathique qui suit les actes d’énergie et d’enthousiasme. Elle se laissa donc conduire dans le triste domicile qu’on lui assignait, sans rien regarder autour d’elle. Elle se sentait épuisée ; et, bien qu’on fût à peine au milieu du jour, elle se jeta, tout habillée, sur son lit, et s’y endormit profondément. À la fatigue qu’elle éprouvait se joignait cette sorte de sécurité délicieuse dont une bonne conscience recueille les fruits ; et quoique son lit fût bien dur et bien étroit, elle y goûta le meilleur sommeil.

Depuis quelque temps, elle ne faisait plus que dormir à demi, lorsqu’elle entendit sonner minuit à l’horloge de la citadelle. La répercussion du son est si vive pour les oreilles musicales, qu’elle en fut éveillée tout à fait. En se soulevant sur son lit, elle comprit qu’elle était en prison, et qu’il fallait y passer la première nuit à réfléchir, puisqu’elle avait dormi tout le jour. La perspective d’une pareille insomnie dans l’inaction et l’obscurité