Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/222

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demain sa condamnation doublée. Ce prince, aussi franc que brave, aussi confiant que Frédéric était ombrageux, avait enfin ouvert les yeux sur le caractère misérable du baron. Au lieu de le ménager prudemment, il l’avait accablé de son indignation ; et depuis ce temps-là, Pœlnitz, courbé jusqu’à terre devant lui, ne l’avait plus desservi. Il semblait même qu’il l’aimât au fond du cœur, autant qu’il était capable d’aimer. Il s’attendrissait en parlant de lui avec admiration, et ces témoignages de respect paraissaient si sincères qu’on s’en étonnait comme d’une bizarrerie incompréhensible de la part d’un tel homme.

Le fait est que Pœlnitz, le trouvant plus généreux et plus tolérant mille fois que Frédéric, eût préféré l’avoir pour maître ; pressentant ou devinant vaguement, ainsi que le faisait le roi, une sorte de conjuration mystérieuse autour du prince, il eût voulu pour beaucoup en tenir les fils et savoir s’il pouvait compter assez sur le succès pour s’y associer. C’était donc avec l’intention de s’éclairer pour son propre compte qu’il avait tâché de surprendre la religion de Consuelo. Si elle lui eût révélé le peu qu’elle en savait, il ne l’eût pas rapporté au roi, à moins pourtant que ce dernier ne lui eût donné beaucoup d’argent. Mais Frédéric était trop économe pour avoir de grands scélérats à ses ordres.

Pœlnitz avait arraché quelque chose de ce mystère au comte de Saint-Germain. Il lui avait dit, avec tant de conviction, tant de mal du roi, que cet habile aventurier ne s’était pas assez méfié de lui. Disons, en passant, que l’aventurier avait un grain d’enthousiasme et de folie ; que s’il était charlatan et même jésuitique à beaucoup d’égards, il avait au fond de tout cela une conviction fanatique qui présentait de singuliers contrastes et lui faisait commettre beaucoup d’inconséquences.