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avec avidité les faibles sons qu’une brise lointaine semble m’apporter. Tantôt je me figure que ce violon joue en glissant sur les eaux qui dorment autour de la citadelle ; tantôt qu’il descend du haut des murailles, et d’autres fois qu’il s’échappe du soupirail d’un cachot. J’en ai la tête et le cœur brisés. Et pourtant quand la nuit vient, au lieu de songer à me distraire en écrivant, je me jette sur mon lit, et je m’efforce de retomber dans ce demi-sommeil qui m’apporte mon rêve ou plutôt mon demi-rêve musical ; car il y a quelque chose de réel là-dessous. Un véritable violon résonne certainement dans la chambre de quelque prisonnier : mais que joue-t-il, et de quelle façon ? Il est trop loin pour que j’entende autre chose que des sons entrecoupés. Mon esprit malade invente le reste, je n’en doute pas. Il est dans ma destinée désormais de ne pouvoir douter de la mort d’Albert, et de ne pouvoir pas non plus l’accepter comme un malheur accompli. C’est qu’apparemment il est dans ma nature d’espérer en dépit de tout, et de ne point me soumettre à la rigueur du sort.

« Il y a trois nuits, je m’étais enfin endormie tout à fait, lorsque je fus réveillée par un léger bruit dans ma chambre. J’ouvris les yeux. La nuit était fort sombre, et je ne pouvais rien distinguer. Mais j’entendis distinctement marcher auprès de mon lit, quoiqu’on marchât avec précaution. Je pensai que c’était madame Schwartz qui prenait la peine de venir s’assurer de mon état, et je lui adressai la parole ; mais on ne me répondit que par un profond soupir, et on sortit sur la pointe du pied ; j’entendis refermer et verrouiller ma porte ; et comme j’étais fort accablée, je me rendormis sans faire beaucoup d’attention à cette circonstance. Le lendemain, j’en avais un souvenir si confus et si lourd, que je n’étais pas sûre de ne pas l’avoir rêvé. J’eus le soir un dernier accès