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de vous trouver presque morte. Mais morte ou vivante, je ne voulais pas vous laisser là. Je vous ai portée sans encombre dans la barque qui nous attendait le long du fossé. Et alors… il m’est arrivé une petite aventure assez désagréable que je vous raconterai une autre fois, signora… Vous avez eu assez d’émotions comme cela aujourd’hui, et ce que je vous dirais pourrait vous causer un peu de saisissement.

— Non, non Karl, je veux tout savoir, je suis de force à tout entendre.

— Oh ! je vous connais, signora ! vous me blâmerez. Vous avez votre manière de voir. Je me souviens de Roswald, où vous m’avez empêché…

— Karl, ton refus de parler me tourmenterait cruellement. Parle, je t’en conjure, je le veux.

— Eh bien, signora, c’est un petit malheur, après tout ; et s’il y a péché, cela ne regarde que moi. Comme je vous passais dans la barque sous une arcade basse, bien lentement pour ne pas faire trop de bruit avec mes rames dans cet endroit sonore, voilà que sur le bout d’une petite jetée qui se trouve là et qui barre à demi l’arcade, je suis arrêté par trois hommes qui me prennent au collet tout en sautant dans la barque. Il faut vous dire que la personne qui voyage avec vous dans la voiture, et qui était déjà des nôtres, ajouta Karl en baissant la voix, avait eu l’imprudence de remettre les deux tiers de la somme convenue à Nanteuil, en traversant la dernière poterne. Nanteuil, pensant qu’il pouvait bien s’en contenter et regagner le reste en nous trahissant, s’était aposté là avec deux vauriens de son espèce pour vous rattraper. Il espérait se défaire d’abord de votre protecteur et de moi, afin que personne ne pût parler de l’argent qu’il avait reçu. Voilà pourquoi, sans doute, ces garnements se mirent