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— Soyez tranquille, monsieur Matteus, répondit Consuelo, je ne serais pas assez riche pour les dédommager, et il n’est pas dans mon caractère de détourner qui que ce soit de son devoir.

— D’ailleurs, je ne les perdrai jamais de vue, reprit Matteus, comme se parlant à lui-même.

— Vous pouvez vous épargner toute précaution à cet égard. J’ai de trop grandes obligations aux personnes qui m’ont amenée ici et, je pense, aussi à celles qui m’y reçoivent, pour rien tenter qui puisse leur déplaire.

— Ah ! madame est ici de son plein gré ? demanda Matteus, à qui la curiosité ne semblait pas aussi interdite que l’expansion.

— Je vous prie de m’y considérer comme captive volontaire, et sur parole.

— Oh ! c’est bien ainsi que je l’entends. Je n’ai jamais gardé personne autrement, quoique j’aie vu bien souvent mes prisonniers sur parole pleurer et se tourmenter comme s’ils regrettaient de s’être engagés. Et Dieu sait pourtant qu’ils étaient bien ici ! Mais, dans ces cas-là, on leur rendait toujours leur parole quand ils l’exigeaient ; on ne retient ici personne de force. Le souper de Madame est servi. »

L’avant-dernier mot du majordome couleur de tomate eut le pouvoir de rendre tout à coup l’appétit à sa nouvelle maîtresse ; et elle trouva le souper si bon, qu’elle en fit de grands compliments à l’auteur. Celui-ci parut très-flatté de se voir apprécié, et Consuelo vit bien qu’elle avait gagné son estime ; mais il n’en fut ni plus confiant ni moins circonspect. C’était un excellent homme, à la fois naïf et rusé. Consuelo connut vite son caractère, en voyant avec quel mélange de bonhomie et d’adresse il prévenait toutes les questions qu’elle eût pu lui faire, pour n’en être pas embarrassé, et arranger les