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fût bonne et inoffensive, cette belle dame avait donc, dans ce moment, quelque chose de faux et de forcé dans toute sa contenance qui n’échappa point à la Porporina. La curiosité est si voisine de la perfidie, qu’elle peut enlaidir les plus beaux visages.

La Porporina connaissait très-bien la figure de madame de Kleist, et son premier mouvement, en voyant chez elle la personne qui lui apparaissait tous les soirs d’opéra dans la loge de la princesse Amélie, fut de lui demander, sous prétexte de nécromancie, dont elle la savait très-friande, une entrevue avec sa maîtresse. Mais n’osant pas se fier à une personne qui avait la réputation d’être un peu extravagante et un peu intrigante par-dessus le marché, elle résolut de la voir venir, et se mit de son côté à l’examiner avec cette tranquille pénétration de la défensive, si supérieure aux attaques de l’inquiète curiosité.

Enfin la glace étant rompue, et la dame ayant présenté la supplique musicale de la princesse, la cantatrice, dissimulant un peu la satisfaction que lui causait cet heureux concours de circonstances, courut chercher plusieurs partitions inédites. Alors se sentant inspirée tout à coup :

« Ah madame, s’écria-t-elle, je mettrai avec joie tous mes petits trésors aux pieds de son Altesse, et je serais bien heureuse, si elle me faisait la grâce de les recevoir de moi-même.

— En vérité, ma belle enfant, dit madame de Kleist, vous désirez de parler à Son Altesse royale ?

— Oui, madame, répondit la Porporina ; je me jetterais à ses pieds et je lui demanderais une grâce, que, j’en suis certaine, elle ne me refuserait pas ; car elle est, dit-on, grande musicienne, et elle doit protéger les artistes. On dit aussi qu’elle est aussi bonne qu’elle est