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je n’aie jamais eu pour elle qu’une paisible et pure amitié. Qu’aucun nuage n’obscurcisse donc le beau front de la divinité que j’adore. C’est pour elle seule que je respire, et j’aimerais mieux mourir que de la tromper. »

Pendant que madame de Kleist déchiffrait ce post-scriptum à haute voix, et en pesant sur chaque mot, la princesse Amélie examinait attentivement les traits de la Porporina, pour essayer d’y surprendre une expression de douleur, d’humiliation ou de dépit. La sérénité angélique de cette digne créature la rassura entièrement, et elle recommença à l’accabler de caresses en s’écriant :

« Et moi qui te soupçonnais, pauvre enfant ! Tu ne sais pas combien j’ai été jalouse de toi, combien je t’ai haïe et maudite ! Je voulais te trouver laide et méchante actrice, justement parce que je craignais de te trouver trop belle et trop bonne. C’est que mon frère redoutant de me voir nouer des relations avec toi, tout en feignant de vouloir t’amener à mes concerts, avait eu soin de me faire entendre que tu avais été à Vienne la maîtresse, l’idole de Trenck. Il savait bien que c’était le moyen de m’éloigner à jamais de toi. Et je le croyais, tandis que tu te dévoues aux plus grands dangers, pour m’apporter cette bienheureuse nouvelle ! Tu n’aimes donc pas le roi ? Ah ! tu fais bien, c’est le plus pervers et le plus cruel des hommes !

— Oh ! madame, madame ! dit madame de Kleist, effrayée de l’abandon et de la volubilité délirante avec lesquels la princesse parlait devant la Porporina, à quels dangers vous vous exposeriez vous-même en ce moment, si mademoiselle n’était pas un ange de courage et de dévouement !

— C’est vrai… je suis dans un état !… Je crois bien que je n’ai pas ma tête. Ferme bien les portes, de Kleist, et regarde auparavant si personne dans les antichambres