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Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/76

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vous saurez que nous allons souper toutes les trois, en nous servant nous-mêmes ; comme déjà nous avons tout préparé nous-mêmes, madame de Kleist et moi. C’est nous deux qui avons mis le couvert et allumé les bougies, et jamais je ne me suis tant amusée. Je me suis coiffée et habillée toute seule pour la première fois de ma vie, et je n’ai jamais été mieux arrangée, du moins à ce qu’il me semble. Enfin, nous allons nous divertir incognito ! Le roi couche à Potsdam, la reine est à Charlottembourg, mes sœurs sont chez la reine mère, à Montbijou ; mes frères, je ne sais où ; nous sommes seules dans le château. Je suis censée malade, et je profite de cette nuit de liberté pour me sentir vivre un peu, et pour fêter avec vous deux (les seules personnes au monde auxquelles je puisse me fier) l’évasion de mon cher Trenck. Aussi nous allons boire du champagne à sa santé, et si l’une de nous se grise, les autres lui garderont le secret. Ah ! les beaux soupers philosophiques de Frédéric vont être effacés par la splendeur et la gaieté de celui-ci ! »

On se mit à table, et la princesse se montra sous un jour tout nouveau à la Porporina. Elle était bonne, sympathique, naturelle, enjouée, belle comme un ange, adorable en un mot ce jour-là, comme elle l’avait été aux plus beaux jours de sa première jeunesse. Elle semblait nager dans le bonheur, et c’était un bonheur pur, généreux, désintéressé. Son amant fuyait loin d’elle, elle ignorait si elle le reverrait jamais ; mais il était libre, il avait cessé de souffrir, et cette amante radieuse bénissait la destinée.

« Ah ! que je me sens bien entre vous deux ! disait-elle à ses confidentes qui formaient avec elle le plus beau trio qu’une coquetterie raffinée ait jamais dérobé aux regards des hommes : je me sens libre comme Trenck l’est à cette heure ; je me sens bonne comme il l’a