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durant le souper, et du roulement lointain des voitures qui annonça, au lever de l’aube, le départ des nombreux hôtes de la résidence.

À neuf heures précises, la recluse entra dans la salle où elle prenait ses repas, qu’elle y trouvait toujours servis avec une exactitude scrupuleuse et une recherche digne du local. Matteus se tenait debout derrière sa chaise, dans l’attitude respectueusement flegmatique qui lui était habituelle. Consuelo venait de descendre au jardin. Le chevalier était venu prendre sa lettre, car elle n’était plus dans le livre. Mais Consuelo avait espéré trouver une nouvelle lettre de lui, et elle l’accusait déjà de mettre de la tiédeur dans leur correspondance. Elle se sentait inquiète, excitée, et un peu poussée à bout par l’immobilité de la vie qu’on semblait s’obstiner à lui faire. Elle se décida donc à s’agiter au hasard pour voir si elle ne hâterait pas le cours des événements lentement préparés autour d’elle. Précisément ce jour-là, pour la première fois, Matteus était sombre et taciturne.

« Maître Matteus, dit-elle avec une gaieté forcée, je vois à travers votre masque que vous avez les yeux battus et le teint fatigué ; vous n’avez guère dormi cette nuit.

— Madame me fait trop d’honneur de vouloir bien me railler, répondit Matteus avec un peu d’aigreur ; mais comme madame a le bonheur de vivre le visage découvert, je suis plus à portée de voir qu’elle m’attribue la fatigue et l’insomnie dont elle a souffert elle-même cette nuit.

— Vos miroirs parlants m’ont dit cela avant vous, monsieur Matteus : je sais que je suis fort enlaidie, et je pense que je le serai bientôt davantage si l’ennui s’obstine à me consumer.

— Madame s’ennuie ? reprit Matteus du ton dont il eût dit « madame a sonné ! »